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« Pour notre vieillesse, Vreni et moi avions pris nos aises. Arrivés à la retraite, nous avons quitté notre appartement, car notre camping-car, que j’avais aménagé moi-même, était devenu notre maison. Chaque année, nous passions l’hiver en Espagne. Vivre en étant libres de voyager avait toujours été notre rêve, pour lequel nous avions économisé et vécu modestement pendant de nombreuses années. Notre maison sur roues nous permettait de voyager à travers l’Europe.
Un voyage aux conséquences fatales
Lors d’un voyage en Allemagne, ma femme est tombée gravement malade. Elle avait été contaminée par des bactéries. C’était il y a six ans. A l’époque, une épidémie sévissait au nord de l’Allemagne, avec les mêmes symptômes que ceux d’une grippe intestinale. Au début, nous avons pensé que ce n’était rien. N’importe qui peut attraper une telle grippe. Vreni se plaignait toutefois de fortes douleurs et n’arrêtait pas de vomir. Le médecin lui prescrivit les médicaments usuels, et j’espérais qu’elle se remettrait en Espagne, où nous voulions passer l’hiver une fois de plus. Ma femme était bientôt si faible qu’elle avait besoin d’un déambulateur pour se déplacer. Je ne reconnaissais plus ma Vreni. Nous avions entrepris tant de choses ensemble, mais elle ne pouvait presque plus se déplacer sans aide. Ce n’était pas normal ! Ne supportant plus de la voir ainsi et de me sentir tellement désemparé, je l’ai ramenée en Suisse. A l’hôpital, ils lui ont administré 17 perfusions dans le bras, avec des médicaments et du liquide, mais ça n’a pas aidé. Après quelques jours, Vreni a perdu le combat contre les bactéries, complètement asséchée depuis l’intérieur. Une mort atroce.
Seul, je n’y arrivais plus
Une partie de moi est morte en même temps que ma femme. Je suis tombé dans un trou épouvantable et me suis retranché dans le camping-car, mais rien n’était plus comme avant. Je n’avais plus le sentiment d’être à la maison. Plus de Vreni, plus de rêve. Sans elle, rien n’avait plus de sens. Comme j’aurai voulu lui montrer encore les lacs bleus en Suède. Ce voyage était son dernier souhait. Maintenant, j’étais seul. Seul avec moi-même et ma douleur. Je ne voulais parler avec personne ; je ne pouvais tout simplement pas. J’ai toujours été quelqu’un de plutôt solitaire. Dans ma vie, j’ai trop souvent dû faire l’expérience qu’on ne peut pas compter sur les autres. Si je n’allais pas bien, je devais me débrouiller tout seul. J’ai essayé de noyer ma perte dans l’alcool. Avant, Vreni et moi avions tout fait ensemble : le ménage, la cuisine et les plaisanteries. Seul, je n’y arrivais plus. Je ne m’occupais plus de rien, ni de personne. Je me laissais complètement aller. Je n’avais plus payé de factures depuis longtemps, mais n’ai pris conscience du sérieux de la situation que lorsqu’un employé de l’administration est arrivé devant ma porte. J’ai dû vendre le camping-car et déménager dans un logement social. J’avais tout perdu.
Vreni serait fier de moi.
Un assistant social est passé chez moi et a insisté pour que je déménage dans un foyer disposant d’un encadrement. Je ne pouvais plus nier ma détresse, et il m’a accompagné pour visiter le Foyer Hertihus de l’Armée du Salut, à Bülach (ZH). Au début, j’étais sceptique, mais je suis maintenant très content d’y avoir emménagé. J’y ai trouvé une activité utile. Le tremblement de mes mains m’avait fait réfléchir, et je ne voulais pas perdre encore le plaisir de travailler avec mes mains. J’ai arrêté de boire du jour au lendemain. Je travaille du bois dans l’atelier du foyer, situé à la cave. Mes mains ont recommencé à fonctionner comme il faut. J’arrive même à découper des pièces de puzzle très petites dans du bois. Chaque puzzle de paysage est une pièce unique, en trois dimensions. On peut placer librement des maisons, des arbres, des bateaux et des châteaux sur le paysage. Je me souviens à nouveau des endroits que j’ai visités avec ma Vreni. Mes puzzles en 3D font aussi plaisir à d’autres. »
* Nous avons modifié le nom et utilisé les photos d’une autre personne afin de protéger la vie privée de la personne concernée.