Durée de la lecture: 6 minutes · 0 Commentaires
·partager l'article
Le contraste entre Odessa et la maison de vacances Waldegg, au-dessus de Rickenbach (BL), ne pourrait être plus grand : imposante ville portuaire d’environ un million d’habitants située au bord de la mer Noire, dans le sud de l’Ukraine, Odessa attire de nombreux touristes du monde entier. Elle est connue pour ses plages et ses bâtiments du XIXe siècle, dont l’opéra d’Odessa. Avant la guerre, c’est là que vivait ces huit femmes et douze enfants, dont sept souffrant de troubles du spectre autistique.
Leur nouveau chez-soi provisoire est le Centre de vacances Waldegg de l’Armée du Salut. Il se situe à 554 mètres d’altitude. Cette maison de vacances se trouve au cœur d’une nature bucolique. Un car postal partant de la gare de Gelterkinden s’arrête directement devant la porte du Centre.
Mon arrivée à Waldegg
Lorsque je suis arrivée au Centre de vacances Waldegg, le 30 mars dernier, c’est Stefan Inniger, le responsable de la paroisse de l’Armée du Salut de Liestal, qui m’a reçue dans le hall d’entrée. Deux semaines plus tôt, lui et son épouse Astrid avaient tout aussi chaleureusement accueilli les réfugiées ukrainiennes et leurs enfants, comme ils me l’ont raconté plus tard. Je le suis dans la maison de jeunesse offrant 38 lits. C’est ici également que je rencontre Astrid, en discussion avec les Ukrainiennes. Les enfants sont en train de s’affairer dans la grande salle de séjour. On rit et on joue. Pour mener notre entretien, nous déplaçons des tables pour former un grand plateau. Je suis assise en face des sept mères et de la grand-mère. Les mères ont mon âge, la trentaine. La grand-mère a 64 ans. Pour moi, ce qu’elles ont vécu est tout simplement inimaginable.
Comment elles ont pris connaissance de la guerre
Leur histoire a débuté le 24 février 2022. À 5 heures du matin, elles sont réveillées par les sirènes. Avec leurs enfants, elles ont dû fuir dans les bunkers. Cela fut le même scénario plusieurs nuits durant. Cependant, les enfants se sont montrés toujours plus récalcitrants à descendre dans les bunkers. La garantie d’un environnement stable et sûr est tout particulièrement déterminante pour des enfants souffrant de troubles autistiques. En raison de leur handicap, les enfants ne sont pas en mesure de parler et ne peuvent en partie pas comprendre les paroles prononcées. Une mère m’explique que son fils, âgé de presque 9 ans, ne parle pas encore. Une autre mère me confie qu’elle ne communique avec sa fille qu’au moyen de regards et de gestes. Comment leur expliquer une guerre de cette manière ?
Pourquoi elles ont décidé de prendre la fuite
Durant les jours qui ont suivi, à la télévision, les reportages se sont multipliés, faisant part de morts et blessés en Ukraine. Et chaque nuit, elles ont entendu hurler les sirènes. Les 3 et 4 mars, elles ont décidé que cela ne pouvait pas continuer comme ça. Elles devaient quitter Odessa. Elles ont dû laisser derrière elles leurs maris, leurs enfants plus âgés, leurs grands-parents, leurs amis, leurs connaissances, leurs animaux de compagnie et tous leurs biens. Elles ont emmené un léger bagage : un sac avec des vêtements chauds pour leurs enfant, des documents de voyage et les médicaments essentiels. Les mères, elles-mêmes, n’avaient que les effets qu’elles portaient sur elles. Même les jouets n’ont pas été emportés, étant donné que les choses matérielles n’ont que peu d’importance pour les enfants autistes. Ils vivent dans leur propre monde, dans leur tête, et ont surtout besoin de leurs personnes de référence, pour se sentir en sécurité.
Ce qu’ils ont vécu durant leur fuite
Le groupe se connaissait déjà d’une structure d’accueil de jour où les enfants se rendaient. Tous ensemble, ils ont embarqué dans un bus pour la Moldavie. C’était en plein hiver, lorsqu’ils se sont mis en route. Le bus s’est brusquement arrêté dans un champ. Par une température de moins 8 degrés, le groupe a dû marcher durant six heures et a encore dû attendre durant trois heures pour le prochain bus. Cela a été un enfer pour les enfants âgés de 1 à 14 ans. Personne n’avait un plan pour savoir où aller. L’essentiel, c’était de partir, puis de partir de nouveau, jusqu’à ce que l’on trouve un endroit où rester. Après avoir séjourné dix jours en Moldavie, l’occasion s’est présentée d’aller en Suisse. Une bénévole, qui était en contact avec l’Armée du Salut, a organisé le voyage. Ce fut un voyage de deux jours dans un vieux bus déglingué jusqu’à ce qu’ils arrivent en Suisse le 16 mars.
Leur arrivée à Waldegg
Les réfugiés y ont été accueillis avec gentillesse par Stefan et Astrid. Et aussi avec beaucoup de chaleur, étant donné qu’en Suisse, les températures atteignaient 20 degrés à la fin mars. Ce qui fait que les arrivants ont tout d’abord dû se trouver des habits adéquats à la brocante Brockino dans le quartier du Petit-Bâle. Par ailleurs, durant toute la durée du voyage, ils n’avaient pas eu la possibilité de laver leurs vêtements. À la maison Waldegg, ils ont enfin pu rattraper cela.
Comment elles restent en contact avec les êtres qui leur sont chers
En Suisse, elles ont aussi reçu des cartes SIM pour leurs téléphones portables, afin de téléphoner gratuitement à la maison. Les maris auraient pu fuir avec elles, vu que leurs enfants souffraient d’un handicap. Pourtant, ils ont décidé de rester, pour défendre celles et ceux qui n’ont pas pu fuir : les grands-parents, les animaux domestiques, les maisons et appartements, leur ville natale. Les hommes les protègent jour et nuit, l’arme à la main. Les amis des familles sont dispersés dans toute l’Europe : de la Moldavie à l’Allemagne ou même l’Espagne en passant par la Pologne, la Roumanie et la Tchéquie. Tous espèrent que la guerre s’achèvera bientôt, et qu’ils pourront rapidement retourner chez eux.
Comment elles organisent actuellement leur quotidien
La maison de vacances Waldegg offre tout ce dont les mères et leurs enfants ont besoin : ils peuvent vivre tous ensemble ici. Les enfants jouent ensemble. On cuisine ensemble et les tâches ménagères sont partagées. Le lendemain, il s’agira de se rendre à Bâle pour s’enregistrer. Et peut-être qu’il sera encore possible de faire l’un ou l’autre petit achat de vêtements. Les chaussettes pour enfant surtout semblent être une denrée rare. Les Ukrainiennes sont reconnaissantes et heureuses d’être en sécurité. Dieu a gardé sa main protectrice sur elles durant le long voyage. Et elles prient pour qu’il arrête la guerre en Ukraine. Il est leur espoir.
Les espoirs qu’elles portent en elles
Pour l’avenir, elles souhaitent que leurs enfants puissent bien se développer, malgré les événements traumatisants qu’ils ont vécus. Qu’ils puissent apprendre à parler et qu’ils puissent vivre sans handicaps. Elles souhaitent la paix pour leur pays et qu’elles puissent bientôt mener leur vie comme avant. Lorsque la guerre sera finie, elles veulent nous inviter chez elles, afin de nous montrer la beauté de leur ville d’origine. Pourtant, toutes ces bonnes intentions ont un goût amer, car personne ne sait quand la guerre cessera et quelle sera alors l’état de destruction de leur pays.
Les impressions que je garde
Après l’entretien, je reste encore un moment à la maison de vacances. Deux mères préparent de la soupe aux légumes pour tout le groupe. Nous sommes chaleureusement invités à partager le repas avec elles. Deux enfants ne souffrant pas de handicaps sortent de leurs chambres. Ils venaient de suivre un enseignement en ligne. L’une des mères me montre fièrement la feuille de bulletin scolaire que l’enseignante vient justement d’envoyer d’Ukraine. Ce sont toutes de bonnes notes pour toutes les branches : en ukrainien, en anglais, en mathématiques, en chimie et en informatique. Je me demande comment l’enseignement scolaire peut se poursuivre, si le pays se trouve en guerre. Mais l’Ukraine est un grand pays, le plus grand d’Europe, plus grand que la France et la Suisse réunies. Il est tout à fait imaginable que, pendant que la guerre fasse rage dans certaines parties du pays, il soit possible d’enseigner dans d’autres parties du pays. En outre, cela procure certainement un peu de soutien, de stabilité et de normalité aux enfants.
Je fais lentement mes adieux. C’était une journée mémorable. Les familles resteront dans la maison Waldegg jusqu’à fin juin. D’ici là, la commune de Sissach va chercher une solution pour la suite. J’espère de tout mon cœur que tous trouveront une bonne place. La stabilité et la sécurité sont importantes pour elles, tout particulièrement pour les enfants souffrant de troubles autistiques. Les femmes resteront en contact avec Stefan et Astrid.
Soutenir
Avec votre don, vous nous aidez à offrir un logement en sécurité aux personnes réfugiées du monde entier. Vous soutenez également notre aide en Ukraine et dans les pays voisins, où l'Armée du Salut possède des sites depuis longtemps.
Continuer la lecture
Vous avez aimé cet article ? Lisez plus sur le thème des sans-abri et logement.
Judith Nünlist
partager l'article
This site is protected by reCAPTCHA and the Google Privacy Policy and Terms of Service apply.