Comment sortir de la solitude

L'étude de la théologie avec son mari en Inde a montré Irene Widmer à quel point les aspects et les rituels de construction de la communauté sont négligés dans ce pays : L'appartenance sociale signifie aussi partager plus que la clôture du jardin. À Riehen, elle et son mari vivent avec onze autres personnes dans une communauté de plusieurs confessions qui crée un espace de vie curatif.

— > Part 1 et Part 3 de l’interview

Armée du Salut: Comment en êtes-vous arrivée à créer ces communautés de vie diaconales  ?

Irene Widmer-Huber: Il n’y avait pas que moi, mais mon mari et moi l’avons fait ensemble.

Juste après notre mariage, nous avons suivi des études théologiques en Inde. L’Indien fonctionne autrement que le Suisse et réfléchit dans une dimension de communauté. En Inde, les éléments comme les groupes de maison, le programme sportif et la rencontre pour boire le thé sont au moins aussi importants que les études proprement dites. Nous nous sommes souvent demandé ce que nous étudiions vraiment, mais nous avons tiré un bénéfice énorme de cet aspect communautaire. À notre retour en Suisse, nous ne pouvions plus comprendre notre pays : comment peut-on posséder une maison individuelle, entourée par une barrière de jardin, et se disputer avec son voisin lorsque son arbre penche un peu trop du mauvais côté ? Cette mentalité nous était devenue étrangère.

Nous sommes passés par un énorme choc culturel, qui concernait également l’utilisation des ressources : pouvons-nous nous permettre de vivre à deux dans une maison de sept pièces ? Nous avons répondu « non » et commencé à accueillir d’autres personnes, au fur et à mesure que les occasions se sont présentées. Nous n’avons plus arrêté depuis.

Vous ne pouviez donc plus concilier une grande maison avec votre conscience ?

Exactement. Financièrement, nous aurions pu le faire, mais notre conscience nous empêchait de nous l’accorder. Une fois que l’on a vu la pauvreté extrême en Inde, on ne peut tout simplement plus habiter seul dans une telle maison. C’était aussi une question d’ordre chrétien : quelle différence pouvons-nous faire ? Pas au sens moral, plutôt en faisant preuve de responsabilité envers la Création, Dieu, les ressources et les personnes qui nous entourent.

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Il y a 100 ans il s'appellait 'Maison de la Charité Chrétienne': villa 'Moosrain', construite par les diaconesses de Riehen.

À quoi ressemble cet habitat communautaire ? Parmi les différentes maisons, prenons le Moosrain, où certaines personnes viennent de situations de vie précaires. Comment est-ce organisé ?

Nous avons d’abord partagé la maison en quatre parties, car il nous semblait exagéré de réunir 40 personnes sans les regrouper. Cela dit, nous célébrons le culte tous ensemble. Notre groupe est organisé de manière à respecter le fonctionnement de l’Office des personnes handicapées, et certaines de nos offres s’adressent aux personnes qui se trouvent dans une situation précaire. Nous avons donc quatre repas en commun chaque semaine. Tous les quinze jours, nous passons une soirée ensemble pour discuter, prier et prendre des nouvelles les uns des autres. Chaque personne vivant dans cet habitat accompagné peut également solliciter des entretiens d’accompagnement spirituel. Nous voulons les soutenir également dans des situations de vie pratique et les aidons à résoudre d’éventuels conflits.

Au Moosrain, nous avons plusieurs sortes de groupes : des personnes seules en studio ou en deux pièces, d’autres en colocation comme les trois femmes qui occupent une maisonnette avec chacune sa chambre, une partie commune en bas et un deuxième salon pour se retirer avec ses visites.

N’y a-t-il aucune hiérarchie, avec des personnes responsables qui font autorité ? Comment établissez-vous des règles nécessaires et lesquelles ?

Chaque colocation diffère un peu. Nous avons établi les règles de base du Moosrain au sein de l’association, où nous stipulons comment aborder les conflits. Comme il s’agit d’une maison communautaire, un intérêt pour l’habitat communautaire est la condition pour y résider. Quant aux colocations, leurs règles spécifiques sont établies en commun par les personnes concernées. Les règles du Moosrain sont également soumises à un concept obligatoire de l’Office des personnes handicapées dont nous dépendons.

À propos des règles: Concernant la situation actuelle extraordinaire (COVID-19 et mesures), la peur est très présente. Outre cette crainte croissante, d’autres conséquences sur la solitude peuvent-elles être imputées aux mesures ?

À propos de Irene Widmer-Huber

Diplôme de commerce, puis formation à l'École de diaconie et de travail communautaire de Zurich, avec une spécialisation en travail social et en diaconie.

A partir de 1991, diaconesse à Strengelbach, dans l'église nationale réformée. De là, transfert à Bâle à l'association "open door", travail avec les toxicomanes. Son mari l'a aidée à se sevrer de la drogue, elle dirigeait un ménage avec des enfants dans une grande maison. C'est alors qu'ils ont tous deux commencé à accueillir des gens pour la première fois.

Communauté résidentielle chrétienne 'Moosrain'

Dans quelle mesure la vie avec Jésus caractérise-t-elle ces groupes communautaires ?

Chez nous, elle est bien sûr la clé, de par la bénédiction promise au Psaume 133 : Dieu vit au milieu des personnes qui cohabitent. Cette pensée est vraiment centrale au Moosrain. Chaque semaine, nous tirons un verset de la Bible dans le livret des versets du jour, l’utilisons comme marque-place et le lisons avant les repas.

Une vie en marge de la société présente un risque élevé d’isolement social. Qu’observes-tu chez vos résidents ? La dynamique a-t-elle changé depuis qu’ils vivent chez vous ? L’évolution est-elle différente pour les personnes qui partageaient la foi chrétienne dès le départ ?

Tu poses plusieurs questions… Tout d’abord, les personnes en marge de la société. Nous avons accueilli des personnes sans abri ou risquant de le devenir. Chez les deux personnes qui vivent ici et qui étaient concernées par cette situation, je perçois d’un côté une gratitude immense de pouvoir à nouveau faire partie de quelque chose et de l’autre côté une crainte folle de ne pas mériter d’en faire partie. Ces personnes sentent qu’être aimé et apprécié peut aussi faire mal. Dans ce domaine, vous, à l’Armée du Salut, avez de l’avance sur nous, mais nous le voyons aussi : la communauté peut aussi être douloureuse, de parce qu’elle manquait avant.

La question qui se pose alors est : est-ce que cela réussit ? Est-ce que la personne prend les jambes à son cou devant le risque d’être aimé ou est-ce qu’elle encaisse cette douleur qui en découle ? Lorsque cela réussit, les témoignages de gratitude sont très touchants.

Peux-tu donner un exemple, afin d’encourager nos lecteurs et auditeurs ?

Au Moosrain, nous avons accueilli une personne « échouée » à Bâle dans le plus grand des désespoirs. Pendant le culte et dans la prière, celle-ci s’exclame aujourd’hui : « Je suis tellement reconnaissante de pouvoir vivre ici ! » Cette personne a repris confiance et nous avons aussi pu la soutenir dans son parcours professionnel. Elle a trouvé un certain équilibre dans sa vie !

Alléluia !

Une autre personne se retrouve actuellement dans une lutte inouïe, hésitant entre « je ne suis pas digne de rester » et « s’il te plaît, ne me renvoie pas, que dois-je faire pour oser rester ? ». Dans mon premier exemple, la personne a trouvé la foi chez nous et découvre ce que signifie « avoir un père – Dieu le Père –, qui m’aime d’un amour inconditionnel ».

 

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Appartements partagés contre la solitude

Le Moosrain fait partie de sept autres appartements partagés à Riehen, qui appartiennent à l'association "offene Tür".

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