–> Part 2 et Part 3 de l’interview
Armée du Salut: Quand vous êtes-vous sentie seule pour la dernière fois ?
Irene Widmer-Huber: Je suis de nature plutôt réservée. Chez moi, les moments de solitude surviennent plutôt quand je me retrouve loin de ma famille après un temps passé ensemble. L’exemple que je mentionne est arrivé alors que ma famille a quitté notre maison de vacances, me laissant seule pour travailler à mon livre. Je me suis retrouvée loin de tout et ai dû m’arrêter, car je ne pouvais plus me définir par mon entourage extérieur. Je suis passée par un moment de solitude, sans savoir qui je suis sans ma famille, et ai eu besoin de faire le tour du lac pour me retrouver.
Votre remède a donc été de sortir dans la nature, de vous promener et de vous retrouver ??
De retrouver Dieu ! Je me suis rendu compte que je ne suis pas seulement mère de famille, mais bien enfant de Dieu, vivant en relation avec lui. On peut aussi se perdre malgré une vie intense en famille et en communauté. Si la relation avec Dieu disparaît à l’arrière-plan, quelque chose peut se casser, à la base même de la solitude : la perception d’être relié à Dieu en tant que chrétien.
Quelle définition de la solitude nous proposez-vous ? Que devons-nous en exclure ? Dans votre livre, vous écrivez aussi que l’on ne devrait pas confondre le fait d’être seul avec le fait de se sentir seul. Dans quelle mesure le sentiment de solitude est-il subjectif ?
Il y a la solitude que l’on peut ressentir comme une force positive vitale, comme celle de l’ermite ou celle qui nous pousse à nous retirer pour prier. Puis, il y a la solitude qui est douloureuse, car elle provient d’un manque relationnel, par rapport à la quantité ou à la qualité qui me correspondrait personnellement. C’est donc un peu subjectif. Une personne dira qu’un mariage qui fonctionne lui suffit et couvre entièrement son besoin relationnel. Une autre aura besoin d’un réseau de relations assez grand et assez sain, sans quoi elle se sentira solitaire. La solitude, c’est une « insuffisance » de relations entre les êtres humains. Le cerveau la perçoit comme une douleur, et elle provoque du stress, ce qui, d’un point de vue neurologique, entrave la libération de cortisol, d’adrénaline et de noradrénaline.
Sait-on quel type de personnes est particulièrement touché ?
Au premier plan se trouvent bien sûr les personnes âgées qui vivent seules. Ou celles qui ont perdu leur travail, que ce soit à cause d’un licenciement ou de l’entrée à la retraite. C’est là qu’on voit quelles sont les attaches sociales d’une personne, et c’est un critère. D’un autre côté, il y a aussi le chômage des jeunes, qui est lié à l’évolution numérique ainsi que le réflexe de se retirer dans le monde des jeux vidéo. Facteur de risque : les cas de mobbing de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux, où les disputes de la cour d’école ne s’arrêtent pas devant la porte de la chambre de l’enfant. Ensuite, certains moments spécifiques de la vie peuvent être délicats : un déménagement ou le fait d’habiter seul peut provoquer un sentiment de solitude. La personne arrivera-t-elle à nouer des contacts sociaux en plus du rythme métro, boulot, dodo ou renoncera-t-elle à cet effort trop astreignant pour elle ? En effet, cela demande une certaine organisation. La maladie peut également entraîner un sentiment de solitude. La pauvreté aussi d’ailleurs, car elle empêche de participer, parce que le cinéma ou le café deviennent trop chers. Le phénomène de la solitude est extrêmement large.